Le rapport 2020 sur la traite des personnes (TIP) pour le Gabon

Gabon (Catégorie 2)

Le gouvernement du Gabon ne se conforme pas pleinement aux normes minimales pour l’élimination de la traite des personnes, mais il déploie des efforts appréciables dans ce sens. Il a, dans l’ensemble, intensifié ses efforts par rapport à la période visée par le précédent rapport ; le Gabon a donc été placé dans la catégorie supérieure, la Catégorie 2. Le gouvernement a poursuivi davantage de trafiquants présumés, identifié pour la première fois une victime adulte de la traite, facilité la formation pour davantage de responsables publics et de membres de la société civile, adopté la révision du Code pénal, qui, pour la première fois, comprenait explicitement le délit de traite des personnes, et finalisé et adopté son plan d’action national de lutte contre la traite. Cependant, le gouvernement n’a pas satisfait aux normes minimales dans plusieurs domaines clés. Bien que le gouvernement ait amendé son Code pénal, la législation n’érigeait toujours pas en infraction pénale toutes les formes de traite. Le gouvernement ne s’est pas attaqué de manière efficace à la corruption au sein du judiciaire et a signalé avoir identifié dans l’ensemble moins de victimes.

RECOMMANDATIONS PRIORITAIRES :

Mener des enquêtes complètes sur les rapports crédibles de corruption liés à la traite dans la fonction publique et poursuivre les responsables publics qui s’en rendent coupables. Finaliser et doter en ressources le comité interministériel dirigé par le ministère de la Justice pour les responsables publics au niveau opérationnel. • Mener avec vigueur des enquêtes judiciaires sur les trafiquants présumés, les poursuivre en justice et tenter de les condamner dans le cadre de procès justes et indépendants. • Élaborer des procédures opérationnelles standard d’identification des victimes et d’orientation de celles-ci vers des soins. Intensifier les efforts pour identifier de manière proactive les victimes de la traite, tant les adultes que les enfants. • Réunir régulièrement la session criminelle spéciale afin d’augmenter le nombre d’affaires de traite connues. Amender le Code pénal pour ériger en infraction pénale toutes les formes de traite et s’assurer que les peines prévues pour la traite des adultes à des fins sexuelles sont à la mesure de celles pour d’autres infractions graves telles que le viol. Élaborer et mettre en place un cours à l’école nationale de la magistrature du Gabon sur les enquêtes en matière de traite des personnes axées sur les victimes afin d’améliorer les capacités des responsables du judiciaire et de l’application de la loi de juger les affaires de traite tout en évitant de traumatiser de nouveau les victimes. Lancer une campagne nationale de sensibilisation à la traite sur les marchés et la servitude domestique. • Renforcer la formation des travailleurs sociaux, agents des services de répression, inspecteurs du travail et membres du personnel judiciaire sur le Code pénal de 2019 de manière à encourager des enquêtes et des poursuites efficaces et des condamnations de trafiquants reconnus coupables à l’issue de procès justes et indépendants. Augmenter le soutien financier et en nature apporté aux centres d’accueil du gouvernement et des ONG et allouer des ressources pour la mise en œuvre du plan d’action national de lutte contre la traite. Élaborer un système de gestion des informations afin de capturer des données dans l’ensemble du pays sur les enquêtes et l’identification des victimes en partenariat avec des organisations internationales.

POURSUITES JUDICIAIRES

Le gouvernement a intensifié ses efforts d’application de la législation sur la lutte contre la traite des personnes. En juillet 2019, le président a promulgué la révision du Code pénal du Gabon, qui, pour la première fois, comprenait explicitement le délit de traite des personnes ; cependant, les nouvelles dispositions relatives à la lutte contre la traite n’érigeaient en infraction criminelle que certaines formes de traite à des fins sexuelles et d’exploitation par le travail. Spécifiquement, le Code pénal limitait la définition de la traite des personnes aux délits impliquant l’« échange d’une rémunération ou de tout autre avantage ou d’une promesse de rémunération ou d’avantage », ce qui n’englobe pas toutes les formes de traite. Les Articles 342-350 du Code pénal révisé prévoyaient des peines allant jusqu’à sept ans de prison assortis d’une amende d’un million de francs CFA (soit 1 730 dollars des États-Unis) pour les infractions de traite impliquant des victimes adultes et jusqu’à quinze ans de prison assortis d’une amende allant jusqu’à 100 millions de francs CFA (172 970 dollars É.-U.) pour celles impliquant des victimes mineures. Ces peines étaient suffisamment sévères, mais, en ce qui concerne la traite des adultes à des fins sexuelles, elles n’étaient pas à la mesure de celles prévues pour d’autres infractions graves telles que le viol. Contrairement à la définition de la traite des personnes appliquée en droit international, le Code pénal faisait de l’usage de la force, de la fraude ou de la coercition une circonstance aggravante et non un élément essentiel de l’infraction. Les peines passaient à dix ans de prison maximum et une amende d’un million de francs CFA (1 730 dollars É.-U.) en présence de telles circonstances. Enfin, le Code pénal rassemblait également les délits de trafic illicite de migrants et de traite des personnes.

Le gouvernement n’a pas tenu de statistiques exhaustives en matière d’application de la loi en raison de difficultés systémiques de gestion de l’information. Le manque de coordination de haut niveau entre les ministères expliquait également en partie la capacité limitée du gouvernement de récolter et de gérer les données relatives à l’application des lois en matière de lutte contre la traite. À Libreville, des agents de police ont signalé avoir lancé en 2019 trois enquêtes pour travail forcé en vertu des articles 342-350 du Code pénal, par rapport à des enquêtes dans le cadre de 17 affaires de traite d’enfant présumée en 2018. Un représentant du ministère de la Justice a signalé que le gouvernement avait, en 2019, saisi le parquet dans le cadre de 20 affaires en vertu des articles 342-350 du Code pénal, par rapport à trois affaires de traite d’enfant l’année précédente. Dans le cadre de deux procès différents, en 2019, le gouvernement a reconnu un trafiquant coupable et un suspect non coupable, par rapport à un trafiquant reconnu coupable en 2018. Dans le pays, seule la session criminelle spéciale du tribunal était autorisée à connaître les affaires de traite parce qu’il s’agissait d’un crime équivalant dans le système judiciaire gabonais à un homicide ; les remaniements ministériels de la fin 2019 ont forcé le gouvernement à reporter sa dernière session criminelle de décembre 2019 à avril 2020.

En raison de la corruption et d’un manque de formation, les juges d’instruction chargés des enquêtes dans les affaires de traite des personnes n’enquêtaient pas toujours sur les affaires qui leur étaient soumises, ce qui empêchait les poursuites dans certaines de ces affaires. Selon des experts, des trafiquants ont versé des pots-de-vin à des juges pour qu’ils retardent volontairement ou abandonnent certaines affaires de traite des personnes. Si la corruption et la complicité de responsables publics dans des affaires d’infractions liées à la traite demeuraient de graves préoccupations, les autorités n’ont toutefois pas signalé d’enquêtes ou de poursuites lancées contre des fonctionnaires pour complicité, ni de condamnations prononcées à leur égard.

En décembre 2019, les responsables des forces de l’ordre ont coordonné avec la République du Congo l’extradition d’un Gabonais soupçonné de traite à des fins sexuelles à Libreville, où il est actuellement en attente de son procès pour proxénétisme, viol sur mineur de moins de 18 ans, mise en danger de la vie ou de la santé d’autrui, et éventuellement traite des personnes. À la fin de la période visée par le présent rapport, l’affaire était toujours en cours. En janvier 2020, des responsables publics ont collaboré avec une organisation internationale afin de former environ 70 acteurs des services de répression, de l’assistance sociale et de la société civile sur les enquêtes en matière de traite axées sur les victimes. En octobre 2019, le gouvernement a coordonné avec un bailleur de fonds l’organisation d’une formation pour plus de 50 magistrats dans le but d’améliorer les capacités des responsables du judiciaire de juger les infractions de traite en vertu du Code pénal révisé.

PROTECTION

Selon les statistiques incomplètes fournies par les responsables publics, le gouvernement a réduit ses efforts d’identification et de protection des victimes. Il utilise un manuel de procédure sur la traite des personnes, élaboré en coordination avec une organisation internationale, qui définit les procédures standard pour identifier les enfants victimes de la traite, les soustraire de situations d’exploitation, leur fournir des soins à court terme et les rapatrier. Selon des experts, le processus d’orientation des victimes était convenable dans le cas des enfants, mais le gouvernement ne dispose pas de procédures standard pour l’identification des victimes adultes. Des responsables des services de répression et d’assistance sociale de Libreville ont fait état de l’identification de 31 victimes de la traite (30 enfants soustraits à des situations de travail forcé et la première victime adulte identifiée au Gabon) et de leur orientation vers des centres accueil fournissant des soins médicaux, juridiques et psychologiques. Des responsables ont signalé avoir identifié 50 enfants victimes de la traite en 2018 et 65 en 2017. Le gouvernement a continué de sous-financer les ONG qui fournissaient un abri et des services aux victimes et l’espace a continué de manquer pour accueillir l’ensemble des victimes de la traite. Le gouvernement a continué de financer deux centres d’accueil administrés par des ONG qui proposaient des services holistiques aux victimes de la traite, aux orphelins et aux enfants des rues en leur fournissant un appui financier et en nature, notamment un financement pour des travailleurs sociaux, un soutien médical, des services psychologiques, une assistance juridique et des frais de scolarité. Certains responsables publics ont continué de puiser dans leurs propres deniers pour combler les lacunes en termes de financement de l’aide aux victimes. Les mêmes services étaient offerts aux hommes comme aux femmes et aux ressortissants étrangers comme gabonais, y compris ceux ayant été rapatriés. Il n’y avait pas de foyers opérés par le gouvernement ou des ONG spécifiquement conçus pour les victimes adultes, mais celles-ci pouvaient éventuellement avoir accès aux services publics réservés aux victimes de violences, notamment familiales. Les pouvoirs publics n’ont pas indiqué que des victimes y avaient eu recours lors de la période visée par le présent rapport. Des centres d’accueil ont fourni des services à des adultes, et certains permettaient aux enfants victimes de la traite de rester au-delà de leur 18e anniversaire ; cependant, le gouvernement n’a pas indiqué avoir orienté d’adultes vers ces établissements au cours de la période visée par le présent rapport. Les responsables publics permettaient aux hommes adultes victimes de la traite de quitter les foyers sans chaperon, mais pas aux femmes, se disant préoccupés pour leur sécurité et vouloir éviter de nouvelles situations de traite.

Le ministère de la Solidarité nationale, a, en coordination avec des ambassades étrangères, aidé au rapatriement de 12 enfants étrangers victimes de la traite, par rapport à aucun en 2018 et à 42 en 2017. Le gouvernement pouvait offrir à une victime des dispositions particulières en matière d’immigration et la réinstaller au Gabon en cas de menaces à sa sécurité dans son pays d’origine, mais les responsables n’ont pas indiqué que des victimes avaient choisi cette option au cours de la période visée par le présent rapport. Si les pouvoirs publics encourageaient les victimes à coopérer avec les autorités pour fournir leur témoignage dans le cadre des poursuites engagées contre les trafiquants présumés, les responsables des services de répression admettaient recueillir parfois les témoignages des victimes au moment de l’arrestation des trafiquants présumés ou de l’identification des victimes, reconnaissant que cette approche n’est ni axée sur les victimes, ni considérée comme la plus efficace. Après une formation dispensée par le gouvernement et une organisation internationale, des policiers de Libreville ont indiqué avoir changé la manière dont ils interrogeaient les victimes en patientant jusqu’à ce qu’elles soient prêtes à coopérer. Bien que, par le passé, le gouvernement ait cherché à obtenir des réparations pour les victimes de la traite des personnes, il n’a pas indiqué l’avoir fait au cours de la période visée par le présent rapport. Les victimes pouvaient déposer des plaintes au civil contre leurs trafiquants, mais il n’y avait pas de cas connus où cela s’était produit, en partie parce que la victime ignorait cette possibilité. Aucun rapport n’a signalé que les autorités auraient détenu, frappé d’une amende ou emprisonné des victimes pour des actes illégaux commis en conséquence directe de leur condition de victime de la traite ; cependant, les efforts fournis pour identifier les adultes victimes de la traite n’en étant qu’à leurs débuts, il se peut que des victimes n’aient jamais été identifiées en tant que telles au sein du système judiciaire.

PRÉVENTION

Le gouvernement a intensifié ses efforts de prévention. Le ministère de la Justice a indiqué que le Premier ministre gabonais avait approuvé le plan d’action national de lutte contre la traite début 2020. En juillet 2019, le gouvernement, avec le soutien d’une organisation internationale et en collaboration avec la société civile, a organisé une campagne de sensibilisation à la lutte contre la traite et d’autres formes de violences faites aux enfants, en touchant 861 personnes. Par ailleurs, le ministère des Affaires sociales a, en août 2019, dispensé une formation à l’intention des travailleurs sociaux et des primo-intervenants sur les questions de protection des enfants, notamment sur la traite des personnes, dans la province de l’Ogooué Ivindo, dans le nord-est du pays. Entre novembre 2019 et janvier 2020, le gouvernement a soutenu la campagne de sensibilisation d’une ONG gabonaise à Libreville en lui fournissant un accès à des sites officiels. Les responsables publics n’ont pas communiqué sur le financement des programmes de lutte contre la traite du Gabon et la baisse des revenus pétroliers, et sept remaniements ministériels en 2019 ont entraîné des problèmes de coordination de haut niveau, entravant la capacité du gouvernement à soutenir les agents des forces de l’ordre au niveau opérationnel, les responsables de l’assistance sociale et des représentants de la société civile. Le gouvernement n’a pas signalé d’efforts pour réduire la demande d’actes sexuels tarifés. Avec le soutien de bailleurs de fonds étrangers, des responsables publics ont continué de fournir une formation sur la lutte contre la traite des personnes à environ 450 soldats gabonais avant leur déploiement dans le cadre d’une mission internationale de maintien de la paix en République centrafricaine. Le gouvernement n’a pas dispensé de formation à la lutte contre la traite des personnes à son personnel diplomatique.

CARACTÉRISTIQUES DE LA TRAITE DES PERSONNES

Comme indiqué au cours des cinq dernières années, des trafiquants exploitent des ressortissants gabonais et étrangers sur le territoire national, ainsi que des Gabonais à l’étranger. Des trafiquants exploitent des filles en les assujettissant au travail forcé comme domestiques, sur des marchés ou dans des restaurants situés en bordure des routes, forcent des garçons à travailler comme vendeurs de rue, mécaniciens, assistants de minibus et ouvriers dans le secteur de la pêche, et contraignent des femmes ouest-africaines à la servitude domestique ou au commerce du sexe au Gabon. Des trafiquants ouest-africains exploiteraient des enfants à partir de leurs pays d’origine pour travailler sur des marchés de Libreville comme celui de NKembo, du Mont-Bouët et du PK7 et dans d’autre centres urbains, notamment Port-Gentil. Dans l’est du pays, des commerçants forcent ou contraignent des enfants gabonais à travailler sur les marchés. Dans certains cas, des passeurs qui aident des adultes venus de l’étranger à migrer au Gabon les assujettissent au travail forcé ou au commerce du sexe après leur arrivée dans le pays par avion ou par bateau avec des papiers falsifiés. Certaines victimes sont des migrants économiques qui transitent par le Gabon depuis des pays voisins pour se rendre en Guinée Équatoriale.

Les trafiquants semblent travailler en réseaux criminels peu organisés basés sur l’ethnicité, et ce sont parfois des trafiquantes, dont certaines sont d’anciennes victimes de la traite, qui assurent le recrutement et le transport des victimes à partir de leurs pays d’origine. Dans certains cas, des familles confient de leur plein gré leurs enfants à des intermédiaires qui leur promettent frauduleusement une éducation ou un emploi mais qui, au lieu de cela, assujettissent les enfants au travail forcé par le biais de la servitude pour dette. Des femmes sont fréquemment assujetties à l’exploitation sexuelle dans des bars en bordure des routes appelés « maquis » ; certains propriétaires de maisons closes auraient assujetti des mineurs à la traite à des fins d’exploitation sexuelle dans le quartier de Lalala, à Libreville.

Certains trafiquants falsifient des documents pour des mineurs victimes de la traite pour indiquer qu’ils sont majeurs et éviter d’être poursuivis en vertu de la loi de lutte contre la traite des enfants. Les trafiquants travaillent souvent en dehors de la capitale pour ne pas se faire repérer par les forces de l’ordre et tirent profit de la perméabilité des frontières gabonaises et de l’absence de surveillance sur les plages du pays pour faire passer les victimes sur le territoire national par voie terrestre ou maritime. Selon les autorités, des réseaux appartenant à la criminalité transnationale organisée tirent bénéfice de la traite des personnes ainsi que du trafic de stupéfiants et de médicaments de contrefaçon. Selon des experts, la nationalité des acteurs de ces réseaux de trafiquants dépend généralement de l’étape du processus. Ainsi, les recruteurs frauduleux dans les pays d’origine comme le Bénin et le Togo sont souvent de la même nationalité que la victime ; les passeurs sont souvent originaires de pays de transit tels que le Nigeria et le Cameroun, et les bénéficiaires finaux de l’exploitation sont en majorité Gabonais ou Ouest-Africains.